31 mai-2 juin 2023 Nanterre (France)

Thème "Genre et sciences"

Argumentaire de la thématique du Congrès (Nanterre 2023) : "Genre et sciences" 

 

L'importance croissante des thématiques de genre dans les recherches scientifiques actuelles, qu'il s'agisse de la biologie, de la médecine, mais aussi de l'écologie et de l'environnement, ou encore de l'ingénierie et de la technologie, a produit un ensemble de questions nouvelles dans le domaine de la philosophie des sciences. Ce congrès voudrait examiner ces transformations (méthodologiques, liées aux pratiques scientifiques, etc.) et donner l'occasion de les discuter.  

 

Plusieurs pistes :  

 

Le statut des femmes dans la pratique scientifique  

Le premier thème ici est la question de celles qu’on appelle « les filles (ou sœurs) d’Hypatie » (Alic 1986) : exposer les obstacles qui se sont opposés à la carrière scientifique des femmes au cours de l’histoire (Abir-Am & Outram 1987), mais aussi leur effacement du récit proposé par l’histoire des sciences. Le premier travail peut consister ici à exhiber les apports de femmes scientifiques ignorées ou oubliées. On peut penser aux figures de « techniciens invisibles » (Shapin 1989).  Un autre élément est ce que Margaret Rossiter a appelé « l’effet Matilda » (1993), équivalent féminin de ce que R. K. Merton avait appelé « effet Matthieu », en référence à un verset de l'Évangile selon Matthieu : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a ». Ainsi, les contributions des femmes à la recherche scientifique ont pu être minimisées, voire effacées. Le cas le plus célèbre en est sans doute celui de Rosalind Franklin, parfois appelée « dark lady » de l’ADN (Maddox 2012) et celui de l’astrophysicienne Jocelyn Bell, codécouvreuse du premier pulsar dont le nom ne fut pas retenu par le comité Nobel. La catégorie d’ « injustice épistémique » (Fricker 2009) est ici fructueuse. On peut aussi analyser les procédures de « déshérence » (Le Doeuff 1998) : comment les carrières des femmes ont été cantonnées à des disciplines scientifiques reléguées à un rang hiérarchique inférieur (par exemple : la botanique au XIXe siècle : Shteir 1996).  

 

Critique des biais en sciences 

Les caractéristiques des acteurs.trices par qui la science est faite ont pu influencer le contenu de la science. Par exemple, on a pu interroger l’insistance mise sur la poitrine dans la catégorie « mammifères » ou sur le mariage dans un terme comme « phanérogames » (Schiebinger 1993, 1996). Un autre exemple célèbre est la manière dont les manuels ont véhiculé une image genrée de la reproduction humaine (Martin 1991, Löwy, 2005). Des biais genrés ont pu également introduire une « perspective mâle » ou « machisme par inadvertance » (Eberhard 1990) dans l’observation du comportement animal, notamment en primatologie (Hrdy & Williams 1983, Rosenqvist & Berglund 1992). Dans ce cadre, une perspective féministe ne fonctionne plus comme un « biais idéologique », mais comme un outil d’analyse critique (Gowaty 1992, Zuk 1993).  

 

Objectivité et Féminisme 

Les rapports entre « genres » et « sciences » sont souvent interprétés comme mettant en péril la connaissance « objective » (Fee 1981), empêchant que la question du genre soit prise au sérieux en philosophie des sciences (Longino 1992). La question ici posée rejoint celle de la distinction entre faits et valeurs. Une telle distinction ne peut conduire qu’à une objectivité « faible » — qu’on peut distinguer d’une objectivité « forte » (Harding 1991, 1995). L’objectif est ici de produire une science nouvelle qui soit tout à la fois plus égalitaire ou politiquement plus juste, mais qui permette aussi une représentation plus exacte du monde.  

 

La naturalisation de la différence sexuelle 

La question est également ouverte de la façon dont l’étude de la différence des sexes est prise en charge par la science biologique. La question des « rôles sexuels » est particulièrement posée dans le cadre de la théorie darwinienne de la sélection sexuelle. C’est par ailleurs un champ particulièrement contesté, dans la mesure où l’opposition du « biologique » et du « social » semble s’y cristalliser de manière aiguë dans notre espèce.  

 

Références :  

Pnina Abir-Am & Dorinda Outram (eds.) Uneasy Careers and Intimate Lives: Women in Science, 1789-1979. New Brunswick: Rutgers University Press, 1987. 

Margaret Alic, Hypatia's Heritage: A History of Women in Science from Antiquity to the Late Nineteenth Century. London: Women's Press, 1986.  

William G. Eberhard, « Inadvertent machismo ? », Trends in ecology and evolution, 5(8) (1990), p. 263.  

Elizabeth Fee, « Is feminism a threat to scientific objectivity ? », International Journal of Women's Studies, 4-4 (1981), pp. 378-392.  

Miranda Fricker, Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing, Oxford University Press, 2009. 

Patricia Adair Gowaty, « Evolutionary biology and feminism », Human nature, 3-3 (1992), p. 217-249.  

Sandra Harding, Whose Science? Whose Knowledge? Thinking from Women's Lives. Ithaca, NY: Cornell University Press, 1991.  

Sandra Harding, "Strong Objectivity": A Response to the New Objectivity Question, Synthese, Vol. 104, No. 3, Feminism and Science (Sep., 1995), pp. 331-349.  

Sarah B. Hrdy, The Woman that never evolved, Cambridge MASS, Harvard University Press, 1981Nouvelle édition augmentée d’une préface, « On raising Darwin’s consciousness », Harvard University Press, 1999; tr. fr. Cathy Bernheim, La femme qui n'évoluait jamais. 

Sarah B. Hrdy et George Williams, « Behavioral biology and the double standard », in S. K. Wasser, Social behavior of female vertebrates, New York, Academic Press, 1983, p. 3-17. 

Michèle Le Doeuff, Le sexe du savoir, Paris, Flammarion, 1998.  

Helen Longino, « Taking gender seriously in philosophy of science », PSA : proceedings of the biennial meeting of the philosophy of science association, 1992, volume 2, Symposia and invited papers (1992), pp. 333-340.  

Ilana Löwy, « Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale? », Travail, Genre, Société, 2005/2, n°14, pp. 89-108. 

Brenda Maddox, Rosalind Franklin : la « Dark Lady » de l'ADN, Paris, Éditions des Femmes, 2012 (trad. Samia Touhami).  

Emily Martin, « The egg and the sperm : how science has constructed a romance based on stereotypical male-female roles »,Signs : Journal of Women in culture and society, 16-3 (1991), pp. 485-501. 

Gunilla Rosenqvist & Anders Berglund, « Is female sexual behavior a neglected topic ? », TREE, 7(6), 174-176, 1992. 

Margaret W. Rossiter, « The Matthew Matilda Effect in Science », Social Studies of Science, 1993, pp. 325-34. (traduction française Irène Jami), « L’effet Mathilda en sciences », Les Cahiers du CEDREF, n°11 (2003).  

Londa Schiebinger, « Why mammals are called mammals : gender politics in eighteenth-century natural history », The American Historical Review, 98-2 (avril 1993), pp. 382-411. 

Londa Schiebinger, « Gender and Natural History », in Jardine Nicholas, Secord James A., Spary Emma C. (eds.), Cultures of natural history, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1996, pp. 163-177. 

Stephen Shapin, « The invisible technician », American Scientist, 77 (1989), 554-563.  

Ann B. Shteir. Cultivating Women, Cultivating Science: Flora's Daughters and Botany in England. 1760 to 1860, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996. 

Marlene Zuk, « Feminism and the study of animal behavior », BioScience, 43-11 (1993), pp. 774-778. 

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